mercredi 30 avril 2014

Remerciements



Je tiens particulièrement à remercier chaque lecteur de ce blogue, même ceux qui n’ont fait que passer sur la pointe des pieds une fois ou deux. Ma bouche ne peut contenir suffisamment de « merci » pour chacun d’entre vous, pour vos encouragements continuels, vos commentaires constructifs, vos bonnes paroles et surtout votre présence. Que ce soit sur le site même du blogue ou sur Facebook, mes contacts avec vous ont été et seront toujours grandement appréciés. Chaque parole échangée est une bénédiction, une rencontre privilégiée, de cœur à cœur et d’esprit à esprit. Sans vous, ce blogue serait un morceau anonyme perdu dans la vaste constellation d’Internet. Avec vous, il est devenu un lieu privilégié de partage. Merci!




dimanche 27 avril 2014

Semaine 52 – Ouverture d’un grand portail vers l’avenir

Crédit photo : pixabay.com

C’est bien aujourd’hui, en ce dimanche grisâtre et tristounet, que se font les solidaires balancements de mouchoirs à bout de bras, les bises d’appréciation à tout vent et que l’on entonne le  traditionnel Ce n’est qu’un au revoir (Auld Lang Syne), sur un ton nostalgique. Nous voilà déjà rendus à la fin de ce long parcours qui a duré toute une année : cinquante-deux semaines de calendrier bien comptabilisées. Un ou deux dimanches avec un certain retard, tout au plus. « Précise et fidèle, j’ai été », dirait maître Yoda dans sa très sainte sagesse de Jedi. Précise et fidèle malgré d’abondants dimanches matins ensommeillés où tout me paraissait plus aguichant que mon contraignant écran d’ordinateur. Il me narguait avec ses brouillons, ses embryons de textes à compléter ou à relire, et qu’il me semblait mission impossible de compléter dans des délais si serrés.

Rester couchée toute la journée sur un tapis de clous de finition; fuir en Sibérie pieds nus; monter à genoux, en culottes courtes, les rugueuses marches de ciment usé de l’oratoire Saint-Joseph; tout me semblait plus affriolant et facile. Mais aujourd’hui, la ligne d’arrivée du marathon est là, bien voyante devant moi. C’est la fin d’une longue traversée en haute mer démarrée en solitaire, sans âme qui vive à l’horizon. Mais ce matin, je retrouve finalement la terre ferme sous mes pas. Il faut passer à autre chose : découvrir l’autre rive, des îles désertes à apprivoiser et des continents inexplorés auxquels se familiariser. C’est le début d’un temps nouveau.

Lorsque j’ai débuté mon aventure avec ce blogue, la première semaine de mai dernier, je marchais à tâtons dans un dense brouillard. Je ne connaissais à ce moment-là pratiquement personne dans le milieu de l’autisme. La seule chose dont j’étais certaine, c’était que je voulais me lancer cet défi extrême, même si on m’avait avisée que ce serait une projet énergivore et un pari difficile à tenir. Avec le Défi 52 semaines, j’ai voulu faire une action-choc qui frapperait l’imaginaire et attirerait l’attention générale sur l’autisme. À mes débuts, les réactions étaient timides, les lecteurs rares. Puis, ils sont apparus, un à un, comme des étoiles inconnues que l’on découvrirait les unes après les autres avec un puissant télescope : parents d’enfants et d’adolescents sur le spectre autistique; adultes de tous âges; intervenants professionnels; conjoints ou proches; femmes en quête d’un diagnostic ou détentrices d’un diagnostic tout récent. Tant de gens magnifiques et variés.

J’ai créé ce blogue, non pour attirer narcissiquement l’attention sur moi, mais pour aller vers l’autisme et vers les autres, moi qui avais vécu totalement repliée sur moi-même pendant plus de quatre décennies. Je comprenais des fonctionnements particuliers, souvent non-expliqués dans la littérature scientifique, que j’avais analysés à la lumière de ma propre vie. Je souhaitais en faire un partage altruiste, mais surtout sensibiliser. J’ai eu le bonheur de voir tant de choses évoluer positivement de manière exponentielle au cours de cette fantastique année. Ma vision plutôt étroite au début s’est peu à peu élargie au contact de tous. J’ai levé le voile sur tant de mystères personnels, je me suis découverte encore davantage, je me suis auscultée en profondeur à chaque instant, j’ai cherché puis trouvé des réponses à des questionnements qui me tenaillaient de l’intérieur depuis les premiers instants lucides de ma vie. Ce blogue s’est avéré être une saine thérapie.

Mais mon travail n’est pas terminé pour autant. Il reste encore tant à faire! Les projets essentiels à concrétiser ne manquent pas. Sensibiliser la population à l’autisme est un élément vital que l’on ne peut négliger. Car si j’ai le sentiment d’avoir contribué à faire connaître tant de choses aux personnes déjà touchées par l’autisme, le reste de la population demeure trop souvent hors d’atteinte, comme sur un autre continent traversé par un long fleuve de préjugés, d’ignorance et souvent même de mépris. La méconnaissance de l’autisme touche encore tellement de gens extérieurs à la situation. J’en suis très gravement consciente et je vais hardiment continuer à y travailler sans relâchement musculaire.

Et on fait quoi après?

La prochaine étape consistera maintenant à me porter davantage vers les gens, à mettre mes mains fermes et décidées dans la terre ou directement dans la pâte à tarte, à être présente sur le terrain. Je caresse de grands projets. Comme de créer des cafés-rencontres réguliers entre adultes sur le spectre autistique et leurs proches, de travailler activement à cette organisation en collaboration étroite avec d’autres adultes comme moi. Pour les avoir expérimentées à plusieurs reprises, je sais pertinemment que les rencontres entre nous sont un moyen exceptionnel de réaliser que nous ne sommes pas seuls dans notre différence sociale. Nous avons tous des similitudes au plan de notre fonctionnement social et celles-ci se rejoignent et s’emboîtent avec souplesse. De telles rencontres permettraient ainsi à Jean-Luc de réaliser que Chantale déteste comme lui les bruyantes pauses-cafés au boulot et les fêtes où l’agitation cacophonique est à peine supportable. Ou qu’elle est comme lui déstabilisée par les émotions variées et étranges de son entourage, car elle non plus ne comprend pas toujours le langage mystérieux des autres. Ces rendez-vous briseraient l’isolement de Christelle, Annabelle, Julien et Kevin, ces ralliements informels apporteraient beaucoup de paix, de réconfort et d’inspiration.

Aussi, je rêve de mettre sur pied une formule de parrainage, semblable à celles de l’association Grand Frères Grandes Soeurs, afin que des adultes autistes autonomes puissent apporter du soutien et du coaching adapté à des plus jeunes qui débutent leur vie d’adulte sans modèle et sans un soutien psychologique conformes à leurs besoins propres et individuels. J’ai des livres en préparation, et je m’attarderai plus régulièrement à leur rédaction dans l’avenir, au travers de mon horaire de travail chronophage.

Faire une place à l’autiste dans le monde

Il ne faut plus jamais que l’autisme soit uniquement réduit à cette étiquette maudite de maladie grave, de handicap honteux ou d’épidémie frappant des individus malsains. Bien évidemment, certaines personnes sur le spectre de l’autisme n’auront jamais un niveau d’autonomie suffisant à l’âge adulte pour subvenir seuls à leurs besoins personnels et prendre leur place dans la société sans aide adaptée. Il faut aussi être là pour eux, ouvrir des consciences et participer à créer des services. Les adultes autistes autonomes ont cette capacité d’être les yeux et les oreilles pour traduire les besoins et les difficultés des autistes d’autres niveaux et de servir d’interprète pour éduquer et apporter des soins de santé appropriés. Il est essentiel de trouver des voix et des voies pour se faire entendre plus fort, s’impliquer dans les recherches et trouver des manières adéquates d’intervenir auprès des autistes de tous âges et de toute condition.

Il faut en arriver à positiver notre décalage social, ce à quoi je m’applique de plus en plus dans mon acceptation personnelle du syndrome d’Asperger dans ma vie quotidienne. Nous devons considérer notre état, non plus comme une tare maléfique à combattre à grands coups d’épée magique ou de rouleaux à pâte en bois dur, mais comme une manière d’être alternative, une occasion d’être soi, différente et parfois même originale. Dans la société, il est d’une importance capitale d’apporter des idées nouvelles, des manières d’être et de penser qui sortent de la norme plate et uniforme. Chacun, autiste ou non, a le devoir de rendre la vie sur terre meilleure après son passage.

Nous pouvons apporter une vision du monde différente, une nouvelle manière de penser, claire, directe, centrée. Dans la majorité des livres et des films, ce sont les individus divergents et hors norme qui changent les choses, quand ils parviennent à se faire entendre. Dans Le meilleur des mondes d’Aldous Huxley, Bernard a été incubé pour être un membre respecté de la caste supérieure, mais une anomalie lors de sa conception l’a modelé physiquement plus petit que ceux de son rang, attirant les railleries, le manque de respect et le rejet par ses semblables. Cette différence involontaire de sa part l’a amené à rejeter son monde, en apparence parfait, et auquel il ne correspondait pas, pour aller chercher plus d’humanité à l’extérieur des normes de sa société. Il en a ainsi repoussé les limites et a fait évoluer les mentalités modelées uniformément. Ne devons-nous pas nous aussi apporter nos forces, nos valeurs et notre manière de voir la vie afin de participer à rendre la société meilleure selon nos capacités uniques?


Nous devons nous demander ce que nous voulons faire maintenant pour qu’apparaissent des éclaircies persistantes au travers des nuages saupoudrés d’un soleil radieux. C’est aujourd’hui ou jamais. Singulièrement, au moment où j’écris cette ligne finale, par la fenêtre un rayon de soleil furtif s’est frayé une fissure parmi la couverture nuageuse. Un bref instant. Est-ce un signe? Oui, c’est bel et bien le début d’un temps nouveau!

mercredi 16 avril 2014

Semaine 50 – Normal, anormal ou juste différent?

Crédit photo: pixabay.com

Comme chaque jour de semaine, j’étais stationnée dans le très peu rembourré cubicule gris qui m’était assigné pour vaquer à mes tâches professionnelles. Ce dernier prenait racine comme une dizaine de ses semblables dans le plancher d’un vaste bureau à aire ouverte. C’était une fin d’avant-midi comme les autres, celle d’un lundi ou d’un jeudi anonyme. L’odeur alléchante du café matinal s’était déjà volatilisée depuis quelques heures. La climatisation mal ajustée du local nous faisait claquer des dents à un rythme de techno house agité et porter des manches longues bien chaudes, quand à l’extérieur il faisait au moins 47 °C à l’ombre. Une journée normale de besogne au bureau, quoi.

Aux alentours de 11 h 40, un étourdissement crépitant, un mal de tête naissant et une chatouillante fringale ont uni leurs forces pour s’attaquer brutalement à moi. Pour contrer leur agression, je prends donc la rationnelle décision qui s’impose : manger une barre collation aux céréales avec un pourcentage lilliputien de saveurs naturelles. Une collègue, sans doute gorgée de parfaites intentions, me jette un œil suspect en passant devant mon espace de travail exigu. Elle s’arrête en silence devant moi et me regarde fixement. On dirait un personnage d’outre-tombe sorti tout droit du film Les autres[1]. Puis, avec un air hautement surpris, elle me balance sa semonce pseudo-maternelle : « Tu manges à cette heure-là? C’est bientôt l’heure du diner… » Je lui réponds, avec ma logique implacable : « Mais, j’ai faim maintenant! » Elle me rétorque alors, avec une subtile indignation : « C’est toi qui le sais! » en haussant les épaules, avant de reprendre son chemin sur le très usé tapis industriel aux couleurs affadies par les frictions infernales de chaussures variées et de bottes sales.

Au moment où Jeannette, Jeannine ou Jeanne s’extirpe des murs bétonnés du département, je capte à la volée son demi-murmure à une autre collègue : « Voyons donc… Elle va gâcher son dîner. Manger à cette heure-là, c’est vraiment pas normal… » Me voilà démasquée. Dépêchez-vous donc de sortir le fouet, la cravache ou la règle de bois. Il me semble que je mériterais une contravention ou du moins un blâme d’une autorité policière quelconque. Incorrigible, une fois de plus, je n’ai pas respecté la norme établie. Je n’arrive toujours pas à comprendre, à mon âge légèrement avancé, qu’il est anormal de manger quand on a faim. Il ne faut surtout pas se laisser émouvoir par ses pulsions profondes. Parfaitement interdit. Puisque nous avons déjà des heures précises, fixes et prévues à l’agenda pour rassasier notre estomac, peu importe l’état actuel de notre appétit. C’est ça qui est normal.

Moi, je suis logique et carrée comme un cube de Rubik. J’ai faim, je mange. L’heure et la convention, je les ignore avec maladresse et ignorance. L’exemple est plutôt flasque et insignifiant, je l’avoue. Ce n’est pourtant qu’un petit exemple de ma « marginalité » ordinaire qui se manifeste effrontément même dans le plus banal de mes gestes. De ces gestes répétés qui attirent au quotidien les remarques incisives et les onomatopées indignées. Me voilà donc contrainte de faire un très forcé coming out : je ne suis pas une personne normale. Mais malgré le digne avertissement, je tiens quand même à souligner à large trait que je n’ai pas lâchement gâché ce fameux dîner non plus.

Mais quel est donc cet étrange concept qu’on nomme avec assurance la normalité?

On pense bien à tort que le terme normal veut dire « adéquat » et « correct ». On croit que ce qui est normal est approuvable et approuvé à tout coup. Ce qui est normal serait donc le concept ou la marche à suivre aveuglément. En fait, normal veut dire « qui est conforme à la norme » et la norme, c’est le standard créé par la majorité des individus. La normalité serait donc le dénominateur commun qui rallie le plus de monde, par rapport à un point de référence, sur un sujet donné. Une chose est normale quand elle correspond à ce que le plus grand nombre accepte, trop souvent même juste par habitude et sans remise en question ou réajustement occasionnel.

Donc, par opposition, ne pas être normal, ne veut pas dire être incorrect ou avoir systématiquement tort. Ça signifie simplement que l’on diffère de la majorité. Pourtant, de nos jours, ne pas être normal est une insulte qui fait longer des murs de plâtre défraîchis et ronger avec rage des moulures de porte en bois sculpté. Car, attention, il faut avant tout éviter que le pied gauche ne dépasse de la double ligne rouge admise, sinon c’est le sifflet réprobateur de l’arbitre qui retentit. Et se démarquer négativement, il faut l’éviter par tous les moyens possibles.

La société veut plus ou moins forger tout le monde sur un modèle semblable et des critères précis concernant ce qui est acceptable. C’est une entité tentaculaire qui s’agrippe à toutes les sphères de notre vie. Mais n’est pas normal qui veux. L’effort demande un réajustement pointilleux et constant des personnes concernées. Ainsi que beaucoup de précieuse volonté. À chaque jour, des individus inquiétés de leurs réactions propres et de leurs plus intimes émotions posent autour d’eux d’importantes questions, la lèvre inférieure tremblotante : « Suis-je normal? », « Quand ça vous arrive, vous faites quoi, vous autres? », « Qu’est-ce qui est normal, dans ce cas-là? », « Si je choisis le bleu au lieu du vert, est-ce que je vais paraître anormal? »,  et j’en passe... On ose parfois, dans l’oubli de ma différence invisible d’individu autiste, me poser la question, comme si j’étais une référence potentielle en la matière. En vérité je vous le dis, un grand nombre d’individus autour de vous galèrent sans arrêt pour demeurer dignement dans la norme. Plusieurs passent peut-être tristement à côté du sens profond de leur vie, le besoin du normal empêche peut-être chacun d’être lui-même et de se questionner sur ses besoins propres.

Mais pourquoi autant de coups énergiques de pagaie ou de foulées fermes avec des chaussures griffées de coureur de fond sont-ils aussi nécessaires pour demeurer dans cette étouffante normalité? Bien sûr, les gens se réconfortent dans le moelleux divan de velours rose antique de la normalité. Elle permet de s’identifier à ses semblables, d’éviter le jugement et le rejet. Elle permet d’appartenir à un groupe approuvé et certifié du sceau de l’excellence, c’est-à-dire de suivre les codes et les normes acceptés. La normalité donne des barèmes et permet donc à l’individu de connaître et d’adopter les comportements attendus, d’intégrer les valeurs communes, se procurer les objets nécessaires pour projeter une image souhaitée et de privilégier certains statuts sociaux.

Quand n’importe quoi pourrait être la norme, finalement

Mais arrêtons-nous un bon dix secondes. Pas plus. Juste pour y penser un petit peu. Donnons-nous un exemple extrême pour frapper l’imaginaire une bonne fois pour toutes. Imaginez que la majorité des gens mangent leurs bananes avec la pelure comme on le fait avec bon nombre de fruits : pour tous, manger une banane avec sa pelure intacte serait sans questionnement l’immuable normalité. L’individu qui, par un beau jour ensoleillé en plein pique-nique familial, pèlerait soigneusement sa banane au vu et au su de tous serait tout de suite pointé du doigt avec indignation et jeté en pâturage aux lions. Ce serait la grande hérésie et le chaos total dans les chaumières. Déballer le fruit exotique avant de mordre dans sa chair pâteuse serait absurde et anormal.

Bien sûr, ce serait un comportement qualifié sans hésitation de déviant. La personne serait questionnée, taxée de gaspilleuse, passerait pour excentrique. « Tu jettes le meilleur! », lui dirait-on avec le plus grand naturel du monde. Je sais et je l’avoue sans crainte, l’exemple est manifestement farfelu. Mais bon nombre de situations, comportements ou paroles jugées normales sont tout aussi farfelues. La norme n’est pas toujours logique. La norme est créée par l’usage. Un usage dont souvent on ignore même l’origine.

Acceptable, le normal?

Pourtant, le normal devient l’idéal de vie, l’accepté et l’acceptable. La normalité actuelle quand on la regarde objectivement, est pourtant souvent cruelle, sombre et injuste. Elle est faite d’indifférence à l’autre, d’individualisme, d’incompréhension mutuelle et de rejet sans appel de ce qui dérange. De manière insultante, la normalité est imparfaite : elle supporte les guerres en disant que les peuples ont toujours fait la guerre en cas de malentendus considérés insolubles. Elle tolère les cas de corruption financière en disant que là où il y a de l’argent, il y a des profiteurs. Elle s’amuse à dire que les hommes préfèrent les femmes jeunes et minces ou qu’il est impensable de mettre les maïs en crème en dessous de la viande hachée dans un pâté chinois.

De plus, à l’intérieur de ses rangs, il semble qu’il y ait des individus qui sont « accros à la normalité ». C’est-à-dire que dès que quelque chose déroge de la norme connue ou qu’une parole ou qu’une blague n’est pas construite sur le modèle de base familier, ces individus vont souligner toutes nos différences comme autant de fautes dignes de la peine de mort. La discrimination envers l’individu différent, voire son exclusion, sont alors au rendez-vous. Ces individus font sentir les personnes « divergentes » comme autant d’êtres vivants incorrects à bannir d’un simple revers de la main. Ils s’accrochent au moule de la normalité, comme à un livre de saintes paroles, sans la moindre nuance possible.

Hors du moule de la normalité, point de salut?

La norme admise n’est écrite nulle part, sauf dans quelques rares domaines. Mais dans le petit quotidien, les panneaux indicateurs se font rares. La normalité fait partie de l’implicite, de ce qui est transmis par osmose aux individus perméables. Et y déroger coûte cher à tous ceux qui osent s’aventurer dans les eaux agitées de la différence. Plus une personne contraste avec la normalité, moins on tolèrera ses attitudes et ses comportements. Elle sera weird, bizarre, excentrique ou dérangée. Elle sera mise à l’écart, peu importe la cause de sa différence.

En tant qu’Asperger, je suis toujours en décalage avec la norme. J’y suis imperméable, mais je commence seulement depuis quelques années à prendre connaissance de son existence et de son influence si considérable. Et elle me terrifie par son manque de souplesse et d’inclusion. Ce qui est conçu comme normal : faire des voyages exotiques de manière régulière, se vanter d’avoir des qualités artistiques dans des disciplines bien vues, posséder une belle résidence dans un quartier résidentiel tranquille, suivre les modes du moment avec grâce, dire le mot juste au bon moment et taire certaines pensées légitimes pour donner une image spécifique de soi, être la fille cool qui aime démarrer la fête... Tout cela est le contraire de moi. Je vis toujours en différé, comme une émission en reprise de sa diffusion originale, rejouée plus tard au cours de la semaine, tard dans la nuit, aux heures de faible écoute. Quand certaines choses m’accrochent enfin, elles ne sont soudainement déjà plus tendance.

Moi, je suis très peu influencée par les modes de la société, à moins qu’elles ne me plaisent vraiment. Quand je m’y intéresse, c’est que je me suis questionnée. Je salivais à la vue d’une Nissan Cube alors que tout le monde que je connaissais détestait les lignes très franches de cette sublime voiture, qui, effectivement, ressemble à un cube. Je refuse les téléphones intelligents parce que les gens en deviennent souvent esclaves et doivent changer de modèle sans arrêt pour se maintenir à jour. Je ne veux pas aller au resto chic branché ou porter des chaussures excentriques juste parce qu’elles sont tendances. Je dois aimer vraiment les vêtements que je porte, même si j’ai longtemps eu l’air de m’habiller comme une femme classique et terne de deux fois mon âge.

Quand je regarde le monde autour de moi, la plupart du temps, je me sens correcte et j’ai l’impression que c’est la société autour de moi qui ne l’est pas. Cette société faite de paradoxes flous, injustes et compliqués pour rien. La différence n’est-elle pas meilleure que la normalité dans la mesure où elle apporte un éclairage nouveau et plus précis sur les tendances dépassées? Et si chacun, au lieu de chercher à se conformer, cherchait à se différencier, et uniquement pour de bonnes raisons. Ainsi on pourrait espérer aboutir à plus de tolérance. Et on verrait que le monde, au-delà de la normalité et de la prévisibilité, a beaucoup de nouveautés multicolores à offrir.




[1] Les autres (The Oothers) est un film de Alejandro Amenábar, sorti en 2001.

dimanche 16 mars 2014

Semaine 46 – La belle bibitte ou la vie de couple avec une aspie – Vie sentimentale (partie 2)

Crédit photo: pixabay.com
*  Veuillez noter que le terme "bibitte" a un sens différent au Québec. Ici, il s'agit d'une petite appellation familière faisant référence à une "mini créature étrange et attachante"!

TEXTE INTÉGRAL

La question ombragée de la possibilité de connaître une authentique vie de couple revient souvent sur le froid carrelage de la vie, et plus principalement concernant les autistes de haut niveau, les TED non-spécifiés et les Asperger. (Oui, je sais très bien, ces termes désuets sont maintenant d’une autre époque grâce à quelques brillants scientifiques qui ont planché jour et nuit sur ces changements de terminologie. Mais au moins, ces appellations anciennes avaient le mérite clair de nous permettre de saisir certaines nuances intéressantes dans les différents niveaux du spectre.)

Peut-on être sur le spectre autistique et vivre en couple? Souvent, on m’interroge à ce sujet, on m’expose de valables inquiétudes, on me glisse des appréhensions et des doutes légitimes. Je vous dirais que je connais d’autres couples dans cette situation et que c’est tout à fait possible et viable. D’ailleurs, actuellement, de nombreux couples sont dans cette situation sans même se douter que l’un des deux membres se trouve sur le spectre autistique. De toute manière, tout couple fait face à ses défis et à ses situations difficiles, non?

Être en couple, pour un autiste, c’est avant tout être en permanence avec l’autre, ce qui n’est pas une évidence toute faite. Three is a crowd, disent les anglophones, mais pour les autistes, déjà à deux, c’est parfois vivre en immersion intense dans une foule compacte. Le couple, dans le sens large, c’est le paradis (l’enfer?) du compromis. Pour l’autiste, s’ajoute à cela l’omniprésence d’une personne dans des sphères qui viennent égratigner sa bulle autistique. C’est donc devoir apprendre à développer plus de souplesse dans ses routines et rituels. C’est exiger un assouplissement de ses rigidités et de ses habitudes sécurisantes pour laisser une place à un conjoint qui a ses propres plis, ses manies et ses besoins propres. C’est également les pièges létaux de la communication, pour des personnes pour lesquels l’expression générale des sentiments intériorisés, des frustrations ou de l’affection n’est pas toujours spontanée. Mais si on choisit de s’engager dans une vie de couple, non par pression sociale, mais parce que c’est notre choix sincère, les chances de réussite peuvent être aussi valables que pour tout autre couple.

L’homme m’aime comme je suis… Oh, surprise!

L’homme et moi avons fait connaissance au travail. (Quand je dis l’ « homme », mon entourage sait que je parle de mon François.) De son côté, l’homme me surnomme « ma belle bibitte ». Non pas qu’il me perçoive comme un gluant insecte ou un rongeur insalubre. Nous avons plutôt l’image d’une mignonne créature du type Gremlin, avant ses métamorphoses maléfiques bien entendu. Je suis Gizmo. J’ai d’ailleurs conservé une puérilité ponctuelle, qui ressort de manière récurrente quand je suis très contente ou particulièrement fragilisée par un événement extérieur. Heureusement, il vit bien avec tout ça. Il m’en trouve encore plus attachante, d’ailleurs. Mon surnom affectueux tire ses origines de là.

Donc, l’homme et moi, avons fait connaissance dans un contexte professionnel. Nous étions déjà en couple chacun de notre côté et nous nous sommes revus à maintes reprises comme de platoniques amis durant quelques années. En faisant le compte, je confirme que nous nous connaissons depuis déjà un bon vingt-sept ans. En tant que couple, amoureux et complices cimentés, en 2015, nous sommes ensemble depuis exactement vingt-cinq ans. L’amour nous a frappés d’un coup, dans un moment mutuel de célibat soudain, alors que nous nous sommes rapprochés en ayant davantage de temps à se consacrer l’un à l’autre. Être ensemble était toujours un plaisir partagé. Nous n’habitions pas dans la même ville à ce moment-là, avec des obligations professionnelles chacun dans notre patelin de résidence. Notre relation a donc connu ses premiers gazouillements à temps partiel.

Même si l’homme est plutôt conventionnel au premier abord, il a toujours été ouvert d’esprit face aux personnes marginales. Contrairement à moi, c’est un hyper sociable qui va avec une souple aisance au devant des inconnus, qui adore l’imprévu et les surprises. Pour une autiste stable qui doit être prévenue à l’avance avec un mémo administratif de l’éventualité d’une surprise, c’est un bateau qui tangue avec mal de mer à la clé. Mais jamais il ne m’a jugée ou critiquée sur ma manière d’être, bien que mon côté sauvage et asocial l’ait particulièrement déstabilisé à plus d’une reprise.

Il aimait ma différence, mon côté punkette du début de l’âge adulte, mon amour du cinéma étranger, de l’histoire de l’art et mes goûts musicaux hors des courants populaires (écouter My Way chanté par Sid Vicious ou des airs tribaux sur la radio de Radio-Canada, par exemple). Mon côté unique dans son paysage prévisible, comme un scarabée asiatique transporté par mégarde dans une cargaison de fruits exotiques, le fascinait. Même s’il ne saisissait pas à chaque coup mes réactions atypiques, il était d’une angélique tolérance. Se grattant le crâne, il s’est retrouvé consterné à plus d’une reprise devant mes répliques brusques : « Elle a vraiment dit ça à untel? » Son amour était tel qu’il n’a jamais cherché à me changer. J’étais la martienne ou la plutonienne mésadaptée et il a consciemment choisi de composer avec la situation. Il aurait pu prendre ses mollets à son cou à n’importe quel moment, avec la bénédiction d’une bonne douzaine de personnes qui ne comprenaient pas son entichement pour cette sauvageonne qui ne sait pas tenir une conversation ou saluer proprement. Mais il ne l’a pas fait.

Une autiste avec des sentiments, vous dites?

Eh oui, on peut être autiste et connaître l’amour, le recevoir et le ressentir. Mais pour moi, avant l’engagement et avant l’éclosion des sentiments amoureux, il a été impératif de connaître l’autre. De développer une authentique amitié, faite de confidences et de confiance. D’avoir des intérêts communs et une réelle complicité naturelle, partager des moments heureux sans malaise. Car il a fallu qu’il entre dans ma bulle, moi qui étais habituée à ma solitude bienfaitrice et nourricière. Cette adaptation, facilitée par le fait que nous habitions dans des villes différentes a pu être graduelle. Mais j’avais parfois une hâte, à en taper frénétiquement du pied, qu’il reparte, après un certain temps passé en duo. J’avais parfois envie une envie pressante de me retrouver seule dans mon antre familier et dans ma routine. Aujourd’hui, j’ai encore besoin de cet espace, de temps en solo, pour me reconstruire, resolidifier mon intérieur, apaiser mon anxiété sociale.

Je crois que chez moi, le temps de l’attachement a été plus long, plus réfléchi que pour la majorité des gens. Même si j’ai déjà connu des étourdissants coups de foudre très brefs par le passé, dont je déchantais très vite. Il y avait toujours cette petite voix raisonnable et logique qui me faisait analyser le contexte, les variables en jeu, mon confort ou mes inconforts, la viabilité de la relation en cours. Cette voix qui sait que tout remaniement fonctionnel, aussi important qu’une nouvelle vie à deux par exemple, engendre énormément de changements inopinés et de situations fortuites qui requièrent un plan B ou une porte de sortie avec un écriteau au néon bien rouge juste au-dessus. Exit. Sortie d’urgence. Issue de secours.

L’homme et son soutien constant, même dans l’autisme

Au moment où j’ai cherché à obtenir mon véritable diagnostic de syndrome d’Asperger, et après l’avoir reçu, proches et famille se sont étrangement volatilisés. J’ai vécu ces démarches avec un grand sentiment de vide et de solitude. Je ne supporte pas que l’on critique l’homme sans subir mes morsures et mes gifles verbales : l’homme, c’est ma bouée dans cet océan d’incompréhension. Durant une vingtaine d’années à mes côtés, il a vu mon parcours boiteux, mes dépressions et ma quête inassouvie de déterrer la vérité sur ma différence. Au début, il ne souhaitait pas que je convoite l’étiquette , l’étampe au front ou le certificat d’Asperger. Il ne voulait pas que j’en sois blessée ou stigmatisée pour le reste de ma vie. Il m’aimait comme j’étais et être tatouée avec une dénomination médicale ne lui apparaissait pas comme un avantage important.

Mais un jour, je lui ai fait lire les caractéristiques du profil féminin. Il a fortement réagi. Il a affirmé avec émotion : « Mais, c’est toi! » Il a finalement compris l’importance pour moi, pour me connaître à fond, d’aller au bout de cet ardu processus. Quand il a compris, il m’a appuyée sans réserve. Tout ça ne nous a rendus que plus forts et soudés plus étroitement encore. Cette connaissance nous a permis une plus grande tolérance vis-à-vis de mes failles, mais aussi une capacité à vivre avec ces dernières et à les aplanir, les rendre plus vivables pour nous deux. Nous vivions déjà avec le souffle chaud du syndrome dans notre cou, mais nous pouvions enfin nous retourner pour regarder la bête dans les yeux et l’apprivoiser. J’en suis ressortie grandie et en version améliorée.

Couple et autisme, possible ou pas?

Certaines personnes autistes choisissent de ne pas vivre en couple. Souvent pour des raisons sensorielles, par déplaisir des contacts physiques ou parce qu’ils ont besoin d’un plus grand d’espace personnel et ont de la difficulté à supporter la présence d’une autre personne dans leur quotidien.

Isabelle Hénault[1] dit que la majorité des couples qu’elle rencontre sont constitués d’un individu ayant des traits sur le spectre autistique et d’une personne typique, c'est-à-dire non-autiste. C’est également le cas pour la majorité des couples que je connais ou qui communiquent avec moi. Certains autres couples seraient aussi composés de deux personnes sur le spectre autistique, souvent à des niveaux différents.

Selon moi, la vie de couple est possible, mais au prix de beaucoup de respect des différences de chacun, des besoins sociaux moindres de la personne autiste, du respect de l’espace personnel de la personne autiste et d’une acceptation entière des différences de fonctionnement de part et d’autre. Les nécessités ne se formulent pas de la même manière et l’expression des sentiments non plus. L’individu sur le spectre autistique peut paraître indifférent ou distant, ne pas savoir s’exprimer adéquatement dans des moments délicats, ne pas se montrer suffisamment romantique, ne pas prononcer les bons mots ou poser les gestes attendus. Chacun des membres du couple doit être clair sur ses besoins et ses attentes et éviter à tout prix, même les plus onéreux, les non-dits. La personne typique doit aussi comprendre et aider la personne autiste à gérer son anxiété et ne pas la brusquer dans ses difficultés. Inversement, la personne autiste doit être à l’écoute de son partenaire et ajuster ce qui est réalisable pour que les deux membres du couple se rejoignent dans l’harmonie, avec le moins de frustrations possible. C’est un travail à deux et chacun doit y mettre ses efforts.

Comme dans tout couple, la priorité est la communication. Avec un conjoint autiste, il ne faut surtout pas hésiter à répéter nos besoins et nos attentes, même si ceux-ci paraissent évidents et implicites. Des fois, ce qui peut paraître gaga doit essentiellement être verbalisé et expliqué à la personne sur le spectre. Quelquefois, il ne manque juste qu’une petite étincelle à notre compréhension pour « allumer » sur certains détails capitaux. Si le silence est d’or et la parole d’argent, dans ce cas-ci, le dialogue est de platine.






[1] Isabelle Hénault, M.A., Ph.D. est sexologue et psychologue et elle a développé une expertise auprès de la population présentant le syndrome d’Asperger, plus particulièrement dans le domaine des relations interpersonnelles et de la sexualité. Elle a travaillé plus de deux ans à la clinique du Dr. Tony Attwood en Australie.

Voir l’émission Une pilule une petite granule sur les ondes de Télé-Québec (disponible pour les résidents du Québec seulement). Pour la partie où je suis présente avec mon conjoint, voir autour de la 21e minute : http://pilule.telequebec.tv/occurrence.aspx?id=1201



-------------------

1. Isabelle Hénault, M.A., Ph.D. est sexologue et psychologue. et elle a développé une expertise auprès de la population présentant le syndrome d’Asperger, plus particulièrement dans le domaine des relations interpersonnelles et de la sexualité. Elle a travaillé plus de deux ans à la clinique du Dr. Tony Attwood en Australie.



* Toute reproduction totale ou partielle est interdite sans l'accord de l'auteure.



dimanche 19 janvier 2014

Semaine 38 – Les autistes célèbres ou des individus avec du potentiel!


TEXTE INTÉGRAL


Thomas Edison

Soyons tout à fait francs. On a tous fait cet acte singulier au moins une fois au cours de notre existence terrestre. Du moins, chacun connaît intimement quelqu’un qui l’a fait avec des éclats de voix et des étincelles indécentes d’orgueil dans les yeux. On regarde notre signe astrologique qu’il soit standard, chinois ou lunaire. Puis un malicieux regard en coin quelque peu intrigué balaie la liste de personnages célèbres qui auraient théoriquement, pour d’ésotériques raisons, la même personnalité que nous. Des individus dont les forces et les talents particuliers seraient donc également omniprésents dans notre vie et à l’intérieur de notre petite personne. À cause d’un alignement subtil des planètes, de la lune ou de la croyance aveugle de la très convaincue tante Berthe. Pour visualiser des gens qui devraient en principe nous ressembler. Moi, je suis à la fois Madonna, Mike Tyson et la septième chienne Lassie.

Mais pourquoi se pencher, salive au coin des lèvres, sur ces listes disparates d’étrangers que nous ne croiserons jamais? Est-ce la quête sans fin du « qui suis-je? », « où vais-je? » ou la recherche de points de référence identitaire extérieurs? La même question se pose alors concernant les listes d’Asperger et d’autistes célèbres. Ils deviennent des points de référence. Ils offrent souvent aux autistes ou Asperger une image positive dans un monde où on dévalorise sans arrêt leur état. Il est rassurant de voir des noms connus de personnes porteuses de la même différence intérieure que soi et qui ont réussi à apporter quelque chose par leur vie. Mais également rassurant de savoir que l’autisme était là avant soi, avant notre génération, depuis des siècles même. Enfin, se rassurer de ne plus être un spécimen unique à épingler comme un papillon rare derrière une vitre bien scellée. Ni d’être E.T., abandonné seul de son espèce en terre étrangère, en quête d’un téléphone ou d’un Bluetooth fonctionnel, pour enfin contacter ses semblables et être récupéré subito presto. Alors, comme je ne lis pas Mange, prie, aime, j’ai besoin d’inspiration moi aussi.

Trouver la piste des autistes dans le passé est ardu. Il n’y a pas si longtemps encore, on cordait les autistes à l’écart dans les maisons de fous, leur soustrayant le droit à un usage productif de leur vie. Ou encore, on les diagnostiquait avec de fausses maladies mentales qui leur allaient comme un gant à quatre doigts sur une main humaine standard. Quelques brillants savants ont pu se glisser au travers des mailles du filet, en trouvant un trou étiré assez grand pour fuir. Comme le génie est sensé être proche de la folie, selon le dicton populaire, on acceptait les excentricités baroques et l’asociabilité chez ceux qui pouvaient se démarquer avec brio dans une sphère particulière.

Aspie et célèbre, vous croyez cela possible?

Bien que le tempérament des autistes et des Asperger ne soit pas un synonyme spontané de recherche de la célébrité, certains se retrouvent sur des podiums, bien en vue. Bien sûr, à cause des contraintes sociales associées, la recherche volontaire de la voyante gloire serait une source d’anxiété plutôt paralysante pour un autiste. Car la recherche d’attention et de grande visibilité n’est pas un trait Asperger courant. La discrétion de l’aspie est proverbiale.

Malgré tout, l’autiste peut être un passionné jusqu’à l’expertise, principalement en ce qui concerne ses intérêts particuliers. Il arrive donc qu’un autiste se démarque par son travail minutieux ou son excellence dans sa sphère professionnelle, par des réussites brillantes et des talents exceptionnels. La personne sur le spectre autistique pourrait acquérir la notoriété par ses innovatrices inventions, ses découvertes scientifiques importantes, ou un travail artistique remarquable ressortant du lot. Le succès est donc parfois au rendez-vous.

Il y a de plus en plus d’Asperger avoués

On constate depuis quelques temps, que certaines personnalités publiques parlent plus ouvertement de leur affiliation avec le spectre autistique. Des parents d’enfants autistes, membres de la communauté artistique, racontent leur quotidien avec leur enfant différent dans les médias. Et puis, quelques Asperger parmi nos contemporains commencent à faire leur coming out. Il faut dire que de sortir d’un placard entrebâillé n’est pas aisé. L’extérieur peut paraître hostile. À la réaction de gens familiers lorsque les mots autistes ou Asperger s’échappent de nos lèvres, on sent parfois que la fuite vers le walk-in le plus proche est la seule voie possible de survie. La méconnaissance de l’autisme, surtout dans ses formes les plus « légères » est encore trop évidente. Il y a fort probablement des autistes connus qui ignorent leur état, et ce, même à un âge avancé de leur vie.

En décembre dernier, la chanteuse britannique Susan Boyle a annoncé au monde entier qu’elle avait été diagnostiquée avec le syndrome d’Asperger. Les médias en ont très fortement parlé durant la semaine qui a suivi. Évidemment, j’ai été bien ravie d’entendre un nom connu et voir les médias parler un peu de nous. Chaque annonce devient une petite brèche de plus dans le mur densément plâtré de l’ignorance. Des gens ont dû faire des recherches sur le Web, intrigués par cette « maladie » inconnue. Les autistes connus permettent donc de faire connaître davantage l’autisme.

Parmi nos contemporains qui ont avoué être Asperger et/ou autiste, nous retrouvons :

– Daryl Hannah (actrice) : à ma connaissance, elle a fait son coming-out deux fois. Il y a quelques années, puis tout récemment. Elle a avoué que les premières de films et la promotion de ces derniers étaient un véritable calvaire pour elle.
– Satoshi Tajiri (créateur des Pokémon)
– Dan Aykroyd (acteur). Certains ont pensé qu’il faisait une blague.

Aspies présumés, mais dont on doutera toujours

Dans la liste des Asperger et autistes de haut niveau présumés, il y a beaucoup de personnes qui sont décédées. La vérification exacte, le diagnostic précis selon les critères en vigueur sont donc impossibles. Mais dans la majorité des cas, leur nom est sorti et s’est accolé à l’étiquette d’autisme suite à des biographies ou à des correspondances personnelles retrouvées qui rapportaient leur comportement, leur manière de communiquer et leur focalisation sur un sujet précis et obsessif.

J’ai visionné au canal Historia, il y a quelques mois, un intéressant documentaire sur Isaac Newton. Le documentaire faisait clairement le parallèle entre le comportement social de Newton et le syndrome d’Asperger, clairement nommé. Newton était obsédé par ses recherches et s’y consacrait jour et nuit, oubliant souvent de se nourrir et vivant en reclus. Cependant, le concept de partager ses découvertes au monde entier et de croquer dans le fruit juteux de la reconnaissance de son génie lui était complètement étranger. Il a suffit d’un autre scientifique, vantard et bourré d’un ego immense, pour faire sortir Newton de son labo. Comme cet autre scientifique faisait erreur selon Newton, ce dernier a choisi de faire publiquement la correction des travaux erronés de son rival, pour rétablir la vérité. C’est ainsi que l’on a eu le privilège de connaître ses découvertes. Le besoin autistique de vérité a pris le dessus!

Parmi les autres personnes célèbres, vivantes ou disparues, qui sont soupçonnées d’être Asperger ou autistes, nous retrouvons :

– Bill Gates (créateur de Microsoft)
– Mark Zuckerberg (créateur de Facebook)
– Marie Curie (chercheuse)
– Albert Einstein (pas besoin de présentation!)
– Alexander Graham Bell et Edison (inventeurs)
– Vincent Van Gogh et Andy Warhol (peintres)
– Virginia Woolf (écrivaine)
– Bob Dylan (compositeur et chanteur)
– Bobby Fisher (champion d’échecs)
– Glenn Gould (pianiste)

Quand ça dérange monsieur et madame tout le monde…

J’ai remarqué qu’à l’annonce de la possibilité qu’un génie, qu’un artiste célèbre ou que toute autre tête pensante soit dans le « camp » autistique, certaines personnes non-autistes se raidissent. Ces individus deviennent presque fâchés, semblant croire que nous cherchons à créer une élite autiste. Pourtant, nous avons des génies dans nos rangs. Il en va de même chez les personnes non-autistes. D’ailleurs, on oublie trop souvent que chez les Asperger, le quotient intellectuel va de normal à supérieur.


Est-ce parce que nous sommes lourdement taxés d’être « inférieurs » et que notre comportement semble inadéquat? Sommes-nous donc dans une caste subalterne? Réussir quelque chose de viable serait-il uniquement le fruit d’un heureux hasard? Sommes-nous condamnés, dans l’opinion populaire, à demeurer la personne limitée et « pas normale »? Nous ne tentons pas de créer une élite ou une agressive invasion barbare. Nous cherchons seulement à être, à développer notre potentiel et à être fiers de nos réalisations. Des autistes et des Asperger talentueux, il y en aura d’autres. Nous en côtoyons probablement dans notre quotidien, en oubliant leurs forces et en mettant l’emphase sur leurs difficultés sociales et leur incapacité à partager leurs émotions intimes, comme ce à quoi la société attend d’eux. Nous les décentrons de leurs pensées pour les propulser de force dans le monde. Ces individus qui changeront quelque chose dans le monde, ils sont quelque part. C’est peut-être vous ou votre enfant. Qui sait? En tout cas, pour moi, les aspies célèbres sont des modèles de réussite et d’inspiration. Et pourquoi pas… de fierté!


Voir aussi sur vidéo :






[ii] Je reparlerai sous peu du concept de la « normalité » plus en détails.


* Toute reproduction totale ou partielle est interdite sans l'accord de l'auteure.