samedi 30 juillet 2016

Semaine 49 — Docteur, suis-je normale? ou L’essentiel diagnostic

Crédit photo : pixabay.com


J’étais déjà en arrêt de travail, suite à une crise existentielle mémorable, qui m’a jetée par terre avec plus de violence qu’un crochet droit bien balancé par un boxeur professionnel archi motivé. En septembre 2011, le ciel m’était tombé sur la tête une fois de plus.
Je savais qu’il existait, avec ses orages tumultueux, ses dépressions cycliques et ses anticyclones. Ce ciel grisâtre m’avait déjà démontré régulièrement qu’il pouvait donner pour mission à un petit nuage noir solitaire de me suivre partout à la trace et venir assombrir chacun de mes moments. J’étais déjà convaincue, suite à deux ans de lectures et d’analyse intérieure, que j’avais bel et bien le syndrome d’Asperger. Il me restait à obtenir la certification officielle, l’étampe sur la main pour passer le tourniquet en toute légitimité.

Je me sentais fragile dans le bureau de la psychologue de l’hôpital. Elle avait été réquisitionnée afin de passer des prétests avant la fatidique rencontre avec le psychiatre. D’ailleurs, je n’ai jamais saisi pourquoi je devais passer par la case psychiatre, ne jouant pas dans la ligue des maladies mentales. Mais c’est un tout autre débat stérile. Bien sûr, j’ai gaffé monumentalement en arrivant avec un autodiagnostic. Et on allait me le faire payer très cher. Mais j’avais trouvé a réponse par moi-même à ce fameux « Mais qu’est-ce qui cloche? » J’avais plus de quarante ans d’expériences quotidiennes avec « mon moi-même » et j’avais colligé par écrit mes expériences personnelles, que j’avais pu comparer par la suite avec les manifestations du syndrome d’Asperger. La « job » était déjà toute mâchée. Mais je ne leur ai pas fait plaisir, au contraire. Ils ont tout fait pour me contredire. Pourtant, quand je vais en quincaillerie, on ne me vend pas des vis à ciment quand je cherche des clous à bois, juste pour avoir le dernier mot. Quand je vais en librairie et que je demande un roman policier, on ne m’impose pas de me procurer à la place le plus récent Guide de l’auto. Mais va savoir, en médecine, on n’arrive pas avec un bon de commande déjà rempli. On se fera un plaisir le plus souvent de te vendre l’article dont tu n’as pas besoin au lieu de te donner ce qui t’est authentiquement nécessaire.

Alors je suis assise, une fois, deux, au moins six fois. Toujours à la même position, dans une chaise trop basse. Son horloge tambourine son cliquetis dans mon oreille droite, la lumière du jour face à moi est aveuglante. J’ai le sentiment qu’elle fait tout pour me faire enrager. Non, elle ne croit pas que je sois sur le spectre de l’autisme. Elle se dit ouverte, mais s’obstine à chaque phrase que j’évacue avec un espoir vite anéanti. On dirait que chacune de mes affirmations est une mouche et qu’elle tient un très cinglant tue-mouche bien en main dans l’attente du moment béni où la phrase se posera tranquillement sur le coin de son bureau. Dès qu’une parole est prononcée de ma part en faveur du syndrome d’Asperger, elle s’élance joyeusement pour l’aplatir. J’en suis davantage déboussolée.

On dirait qu’elle n’a jamais lu sur le sujet de toute sa vie. J’aurais dû lui causer sauce à spaghetti ou averses de neige en ce décembre prolifique en précipitations glacées. Nous aurions été davantage sur la même longueur d’onde. Un beau jour, elle me lance même un très calculé et appuyé « Il ne faut pas couper les cheveux en 4… » Puis elle suspens sa phrase avec un léger sourire, en m’observant comme si elle détenait enfin le code d’ouverture d’un cadenas récalcitrant. Moi, je reste impassible. J’attends la suite. Alors, elle m’affirme que les personnes autistes réagissent très fortement à cette expression et que comme je ne le fais pas, je ne peux l’être. J’aurais sans doute dû convulser en évacuant une bave bien mousseuse. Bien mal m’a pris de lire les pages roses du dictionnaire, d’étudier en littérature et de savoir qu’il existe des métaphores. Ou encore d’avoir écouté les gens parler et d’avoir saisi le sens profond d’une expression toute faite aussi courante. Ce n’était que le début d’une longue suite de bien cuisantes déceptions.

Avoir son diagnostic quand on est vers le haut du spectre

Je me suis battue contre eux. Je me suis battue comme jamais je ne l’ai fait de toute ma vie contre qui que ce soit… J’avais besoin de ce diagnostic. Pour moi, c’était une question de vie ou de mort. J’ai été à même de constater, suite à ma propre expérience et à celle de plusieurs Asperger et autistes de haut niveau de mon entourage, que, bien tristement, le corps médical en général ne semble pas connaître suffisamment les différentes variations sur le spectre autistique.

Souvent, les caractéristiques connues (dans tous les DSM de la terre…) manquent de nuances et concernent les autistes plus sévères. Donc, si on s’applique à trouver chacun des critères au pied de la lettre, oui, on en échappe des bouts. Encore davantage lorsqu’il s’agit d’une femme, car les obligations sociales ont incité souvent la plupart d’entre elles à adopter des stratégies d’adaptation qui les rendent plus difficilement détectables. Regarder dans les yeux, parler, avoir une vision de la vie, c’est l’opposé de ce qui est inscrit dans la majorité des manuels que les spécialistes ont lus.

Pourquoi un diagnostic à l’âge adulte?

Oui, cette très légitime question m’a été posée au moins quatre-vingt-trois fois depuis le début de mes démarches. L’opposition première étant que les adultes ne sont pas autistes. En tout cas, ceux qui le sont auraient eu leur diagnostic durant l’enfance. Ce qui est éminemment faux, car les critères diagnostics n’existent que depuis les années 90. Et s’il n’y a pas d’adulte autiste, pourquoi ne mentionne-t-on nulle part à quel âge nous nous métamorphosons en flaque d’eau qui s’évapore au soleil d’été? Ou à quel âge la cigogne vient nous rechercher? Et puis, on m’a dit : « De toute manière, à quoi bon, puisqu’il n’existe ni médication adaptée ni service pour les adultes? Vous voulez ça pourquoi au juste, madame Cordeau? » Pour faire encadrer votre beau rapport? Pour vous fouetter avec ses pages? Vous torturer avec une étiquette médicale et lécher ensuite vos plaies comme un vieux chien blessé? Pour me décourager, on a tout tenté.

C’est désolant, mais pour les services, ils ont raison. Les enfants ont accès à certains services, au prix d’une longue attente et à condition de répondre à des critères très spécifiques. Ce qui doit être bien enrageant. Puis, plus l’individu avance en âge, moins ces services sont au rendez-vous. Ma raison à moi, c’était que je voulais me connaître en premier lieu. N’est-ce pas le mot d’ordre de notre vie actuelle moderne? En cette époque sacro-sainte du « Connais-toi, toi-même », comment peut-on blâmer une personne de vouloir enfin se comprendre. Surtout venant de psychologues et de psychiatres dont la mission est effectivement d’amener l’individu à faire la paix avec lui-même, de s’aimer et d’apprendre à s’estimer et à se faire confiance.

Je voulais ce diagnostic pour trouver de l’aide, oui. Mais aussi pour cesser de tenter de me changer au-delà de mes capacités. Je voulais faire la paix avec cette petite fille mochement silencieuse, abîmée par ses camarades de classe et certains collègues de bureau du passé. Celle qui ne savait pas se défendre adéquatement. Celle qui avait toujours tort, même avec des arguments cartésiens et factuels, preuves à l’appui. Car me forcer à être sociable dans la foule bruyante, même si on m’y poussait tendrement, rien n’y faisait. Je me devais de savoir enfin, à cet âge vénérable, ce qui m’empêchait d’avoir une vie sociale aisée. Je voulais comprendre ce qui me faisait invariablement figer lorsqu’on m’adressait la parole plus de vingt minutes. Je voulais travailler sur moi avec les bons outils, ne plus enfoncer des clous avec des scies à chaîne. Prendre le marteau par les cornes.

Les vrais et les faux diagnostics

Trop souvent, les adultes véritablement sur le spectre autistique en quête de l’inaccessible réponse seront détournés par d’autres diagnostics. Bien qu’il existe des comorbidités et de troubles associés et qu’il soit possible d’avoir plus d’un diagnostic valable en même temps, plusieurs adultes auront des étiquettes qui ne leur collent pas à la peau. Régulièrement, par faute de connaissance suffisantes des intervenants dans leurs dossiers, certains autres diagnostics seront émis : troubles dysthymiques (unipolaire), personnalité schizoïde, phobie sociale, dépression saisonnière, troubles anxieux... Le diagnostic d’autisme ne semble pas venir spontanément pour décrire la situation d’un individu qui semble fonctionnel aux yeux de l’examinateur.

Après le diagnostic

Avoir un diagnostic juste, c’est la porte enfin déverrouillée vers une connaissance adéquate de soi-même. C’est savoir enfin qui on est avec nos différences, nos décalages d’avec la société. C’est avoir enfin la chance de s’accepter et de travailler avec les difficultés bien réelles qui jalonnent notre route. C’est enfin comprendre son passé et faire la paix avec les désavantages que l’autisme peut nous avoir fait subir. C’est obtenir les réponses, sortir de son isolement. S’accepter enfin, ce qui est loin d’être un luxe.

Mon diagnostic au privé m’a permis de m’ouvrir différemment au monde, à ma manière bien personnelle. Par le passé, je cherchais systématiquement à être comme les autres pour entrer en communication et je cumulais échecs par-dessus échecs. J’étais vouée à une vie de catastrophes s’empilant les unes sur les autres tout en ignorant comment faire cesser le désastre. Maintenant, je suis mieux armée pour savoir quoi faire. Obtenir le bon diagnostic, après tous ces efforts a été ce qui m’a donné des pieds pour marcher plus droit, un cou solide pour tenir ma tête bien digne et des muscles faciaux fonctionnels pour me redonner le sourire.

Obtenir un diagnostic à l’âge adulte ne donne peut-être pas droit facilement à des services de santé et de soutien. Mais c’est un baume dont je n’aurais pu me passer. J’en avais besoin. Le baume a apaisé les agaçantes démangeaisons qui me tenaillaient l’esprit. J’ai enfin pu reprendre le rythme de ma vie. Différemment, mais enfin à ma manière…

mercredi 27 juillet 2016

Fantôme littéraire du passé (1983)




Depuis mon adolescence, le plaisir de jouer avec les mots, de structurer des phrases et des textes, a toujours été une passion intrinsèque.

À l'âge de 17 ans, un jeudi soir tranquille, alors que seul mon père était présent à la maison et qu'il s'affairait sérieusement à une réparation mineure dans la cuisine, j'étais seule dans ma chambre silencieuse. Pour le simple plaisir, j'ai laissé glisser les mots sur ma vieille dactylo électrique et pondu un de ces nombreux textes absurdes sortis de mon imaginaire singulier! À l'époque, en pleine guerre froide, l'Union soviétique toujours unie, j'étais une russophile convaincue, passionnée de théâtre et de culture russe.

Je vous le partage donc, durant cette festive période de vacances, juste pour une petite amusette sans conséquence!

La photo représente le texte d'origine, dactylographié recto verso, page éminemment jaunie.


***

La belle et le russe (1983)

Sous un éclairage sombre dans un minuscule appartement de Kiev, deux êtres se retrouvent, assis l’un en face de l’autre, dans un silence total. Il faisait froid à l’extérieur, un climat de Sibérie pour dire comme les touristes venus de certains pays plus tempérés. Lui, un Soviétique dans tous les sens du terme. Elle, une Canadienne française comme tant d’autres. Le poulet frit n’était qu’une fine couche de viande qui recouvrait un os blanc et rigide. La famine semblait guetter l’Union soviétique.

Brigitte gardait le silence, « Lui » aussi. Lançant un regard furtif à sa gauche, Brigitte remarqua une toile représentant un homme qui lui était totalement inconnu, un camarade soviétique sans l’ombre d’un doute. Puis, son attention se tourna de nouveau vers son compagnon. Des cheveux châtains bouclés lâchement garnissaient la tête de l’homme et ses yeux étaient fixés avec attention sur son maigre repas. Jamais avant aujourd’hui elle ne l’avait vu, jamais après aujourd’hui, elle ne le reverrait. Sans comprendre pourquoi, son cœur battait telle une grosse caisse que l’on fait résonner lors d’un très sérieux défilé militaire. « Lui », il ne parlait pas le français, la seule langue que Brigitte pouvait comprendre. Mais il s’exprimait assez aisément en anglais. De son côté, elle ne connaissait que quelques mots dans la langue shakespearienne. Aucune importance. Il ne lui parlait jamais, elle non plus.

Pourtant, elle se trouvait dans son appartement à lui, dans son pays à lui et elle mangeait une nourriture préparée par lui. Rien que lui. Juste lui. Seulement lui. Lui qu’elle ne connaissait pas, qu’elle ne connaîtra pas, qu’elle ne désirait pas connaître. Lui qui ne la voyait pas, ne la regardait pas, mais qui, on ne sait trop par quel moyen, l’observait sans arrêt. La regardait-il? Non, il regardait ses abominables os rongés. Mais il l’espionnait et dans le fond de lui-même, il riait, il se moquait d’elle. Brigitte ne mangeait pas. La nourriture mise à sa disposition ne pouvait apaiser dignement son appétit trop obsédant. Il venait de bouger. Que faisait-il? Il venait de saisir de sa main droite une autre aile de poulet et la déposait dans son assiette. Dans le plat occupant le centre de la table, il ne restait qu’une aile de poulet, dans l’assiette de son hôte, une pile d’os créait un monticule douteux. Dans l’assiette de Brigitte, aucun os ne s’entassait. Une nouvelle obsession hantait Brigitte : l’aile de poulet restante, allait-elle la prendre ou pas?

S’il avait encore faim, il lui en voudrait de lui avoir confisqué le reste du pauvre repas. En la voyant saisir la dernière aile, il risquerait de grogner comme un chien de garde devant un malheureux visiteur inconnu. Pris d’une rage démente, il la mordrait. Lui qui avait les dents si aiguës… Pourtant, elle ne pouvait détourner son regard de l’aile qui se trouvait dans le plat qui occupait le centre de la table. Mais lui aussi avait faim, elle le savait trop bien. Elle risqua un regard dans la direction de son compagnon qui entamait voracement l’aile de poulet qu’il venait de cueillir telle une fleur dans le plat qui occupait le centre de la table. Un bruit atroce, croustillant et gluant à la fois, se faisait entendre lorsqu’il faisait pénétrer ses crocs dans la chair rare qui recouvrait l’os blanc et rigide. Un frisson d’angoisse lui parcourait l’échine... Elle avait faim, son estomac hurlait famine et ses yeux s’agrandissaient gloutonnement à la vue de l’aile qui se trouvait abandonnée dans le plat qui occupait le centre de la table.

Elle risqua de nouveau un regard dans la direction de son compagnon qui rongeait avec avidité son aile de poulet. Il passa une langue visqueuse sur des lèvres rendues huileuses par la graisse sale de la friture. Elle commença à trembler en jetant un regard sur l’aile qui se trouvait dans le plat qui occupait le centre de la table et dont une fine couche de viande recouvrait un os blanc et rigide. La prendrait-elle, ne la prendrait-elle pas? Si elle la prenait, il ne pourrait pas la prendre. Et s’il tentait de la lui voler? Si elle ne la prenait pas, lui, il la saisirait et de cette manière elle ne pourrait point la prendre à moins de tenter de la lui voler à son tour? Et pourquoi ne pas la partager? Il n’y avait pas bien évidemment pas suffisamment de viande disponible pour les deux individus indigents. Elle risqua alors de nouveau un regard dans la direction de son compagnon qui achevait de dévorer l’avant-dernière aile de poulet.

Pour la première fois, il leva ses petits yeux marron et lui lança un regard interrogatif. Il semblait lui demander pourquoi dans son assiette à elle, il n’y avait pas d’os blanc et rigide. Ils ne parlaient pas. Ni lui ni elle. Ni en français, ni en russe et encore moins en anglais. Elle avait faim. C’est tout ce dont elle avait totalement conscience.

Mais ils avaient un unique point commun, malgré leur présence concomitante surréaliste : ils étaient attirés par cette aile de poulet, la dernière choisie du lot. Deux estomacs criant famine à l’unisson dans un pays glacial. Elle avait faim. Il avait faim. Comme deux prédateurs, ils se regardaient sans rien dire en attendant le moment crucial où l’un des deux oserait aventurer une main audacieuse vers l’aile de poulet restante.

Brigitte se rendit alors compte d’une injustice. Elle n’avait rien avalé alors que dans l’assiette de son compagnon, une pile d’os prouvait tout le contraire. Alors, elle avança sa main en direction de l’aile formée d’une fine couche de viande qui recouvrait un os blanc et rigide et regarda avec hésitation son partenaire d’infortune. Il ne bronchait pas. Il ne parlait pas. Ni en russe ni en anglais. Encore moins en français. Et pourtant lorsqu’elle passa sa main au-dessus de l’aile solitaire, elle pensa qu’il l'en empêcherait dans un dernier geste de convoitise. Mais il ne fit rien. Il ne bronchait pas, il ne parlait pas, il ne marmonnait pas. Alors, elle prit son courage à deux mains, de même que l’aile de poulet qui se trouvait dans le plat qui occupait le centre de la table, et y enfonça ses incisives décidées. C’est alors qu’elle a dû se rendre à l’évidence : elle venait tout à coup, dans son geste trop déterminé, de se casser une dent.





mardi 19 juillet 2016

Le précieux anniversaire ou 4 ans avec l’autisme officiellement confirmé

Crédit: pixabay.com

Depuis 2012, le 19 juillet est pour moi un anniversaire éminemment crucial : celui de mon diagnostic d’autisme. Oui, je me souviens de cette sensation étrange, en ce matin ensoleillé du 19 juillet 2012, ce sentiment de partir dans une quête aventureuse, à la recherche d’une ultime vérité qui me tenaillait depuis janvier 2009, concernant l’autisme, mais en plus depuis mes 15 ans en années humaines à me chercher sans me trouver réellement. J’allais enfin cueillir la réponse à cette question datant du début des temps : « qui suis-je? »

J’avais demandé à quelques connaissances de m’accompagner pour ce rendez-vous fatidique, mais aucun individu n’était disponible, plusieurs pour des raisons valables et même, un membre de ma famille proche m’a affirmé pour se débarrasser « je n’aime pas conduire dans Montréal », alors que je sais très bien qu’elle le fait régulièrement pour visiter ses enfants… Et puis mon conjoint venait tout juste de changer d’emploi et je ne souhaitais pas qu’il demande un congé spécial après 2 semaines seulement. J’ai donc fait le choix d’y aller « comme une grande », en solitaire, car dans le fond, c’était ma démarche à moi. Je l’ai donc fait seule jusqu’au bout. Je ne pouvais plus reculer, j’avançais ainsi à pas feutrés vers mon destin.

J’ai pris l’autobus à partir du terminus de Sorel-Tracy, vers Longueuil, puis le métro et ensuite j’ai marché vers la clinique d’Isabelle Hénault. Je savais mon trajet par cœur, toutes les étapes, car toute séquence est pour moi essentielle pour ne pas perdre pied. J’étais en avance, comme à mon habitude, et j’ai arpenté les rues avoisinantes, fébrile et anxieuse, en scrutant ma montre toutes les 30 secondes. Puis, 10 minutes avant l’heure attendue du rendez-vous, j’ai fait l’ascension des marches et pris place dans la salle d’attente au doux éclairage tamisé. J’étais tremblotante et les mains moites. Je me suis demandé durant un bref instant si la fuite n’était pas une possibilité envisageable. Mais je devais savoir. J’attendais ce moment depuis tellement longtemps.

L’entretien fut superbement agréable, détendu et à la fin elle m’a confirmé que je recevrais mon rapport écrit sous peu. Je lui ai demandé si elle pouvait me donner une réponse tout de suite (elle avait déjà corrigé plusieurs tests que j’avais faits au préalable à l’entretien) et elle m’a confirmé de sa voix douce que, oui, je suis autiste. Je sais que j’ai souri et elle aussi. Je sais que j’ai également eu des larmes aux yeux, émue, comme lorsqu’on atteint finalement le fil d’arrivée après un long marathon.

Le chemin du retour m’a donné largement le temps de réfléchir sur cette confirmation salvatrice. Enfin une réponse claire après une recherche si ardue pour comprendre qui est cette Marie-Josée, si différente et tellement hors du moule. Mais là, je savais de source sûre. Je n’étais donc ni dingue, mythomane ou simplement hypocondriaque. J’avais une identité réelle et distincte que j’avais découverte par moi-même au fil de nombreuses lectures et introspections. Ce qui me marque, ce sont ces nombreuses heures dans les transports en commun, mon voisin de banc dans l’autobus qui prenait trop d’espace, me contraignant à me blottir sur le hublot et à tourner la tête vers le paysage défilant pour éviter ses effluves d’odeur corporelle qui m’envahissaient fortement. Et énormément de pensées, de souvenirs, de moments manqués qui me bombardaient en vrac. J’étais à la fois triste et soulagée. Je suis ensuite rentrée directement à la maison et j’ai continué ma réflexion. Je n’ai appelé personne sur le coup. Je digérais calmement cette affirmation et je conservais mon petit secret encore un peu, juste pour moi.

La route n’était pourtant pas terminée et ne le sera jamais... Je la chemine aujourd’hui encore. Elle a ses hauts et ses bas, au détour de rencontres variées, de moments joyeux ou de conflits cruels sur des interprétations différentes des faits et des mots. Cette route n’est jamais droite, nivelée, lisse et simple. C’est une route alternative, une voie de service en parallèle au réseau routier standard, mais qui quelques fois prend des détours inattendus et entre dans de denses forêts de tristesse et de découragement. C’est un sentier parsemé de pièges à ours et de trous de marmotte où je me renverse fréquemment les chevilles. Mais c’est ma route à moi et je dois la suivre, malgré les obstacles, à la recherche du mieux-être et du respect de qui je suis. J’ai appris beaucoup et j’apprends encore à chaque instant. Ma tête ne s’arrête jamais, comme ces grosses usines dont les machines marchent 24 heures sur 24 et que les travailleurs se relaient dans les différents quarts de travail. Par contre, je suis la seule à assurer le fonctionnement de la machine en continu.

À l’image de cette journée du 19 juillet 2012, je suis seule aujourd’hui. Seule avec mes pensées, mes impressions belles ou hideuses. Seule à revisiter mentalement cette longue vie à ne pas me connaître, à perdre des relations amicales, des emplois, à faire face au jugement sur mon comportement qui ne me semblait pourtant pas à moi inadéquat dans la plupart des occasions. Mais qu’est-ce que je savais de ce qui est acceptable ou non? Rien du tout.

Après la confirmation de mon diagnostic, je ne me suis pas pour autant écrasée. J’ai eu mes moments de révolte contre la société, cette société qui me pousse à entrer ma forme carrée dans une ouverture ronde. J’ai blâmé l’humanité, les conformistes, les gens à l’esprit étroit qui me toisaient avec mépris sans raison visiblement explicable. Puis je suis partie à la conquête de mon vrai moi : être autiste, mais le plus en harmonie avec mon entourage, avec les gens. Prendre ma place, bien que je sois repoussée et critiquée quand je ne suis pas « conforme » pour la majorité. C’est une lutte que je continue  chaque jour de mon existence. Le boulot, les contacts avec mes semblables, rien n’est jamais un tracé droit et prévisible. Il y a du bon et du mauvais à chaque détour. Mais maintenant, je le sais. Je suis réaliste et j’accepte.


Bon anniversaire de diagnostic Marie-Josée!