vendredi 22 avril 2016

Connexions neuronales et alimentation

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Au sommaire :

1-    Mon cerveau s’est adapté ou avoir la cervelle en pâte à modeler et avide de connectivité
2-    Perte de diagnostic d’autisme et études au Connecticut
3-    La succulente question de l’alimentation ou comment marcher sur des œufs frais en tout temps




1.    Mon cerveau s’est adapté ou avoir la cervelle en pâte à modeler et avide de connectivité

C’est arrivé un de ces moches soirs de semaine où on se repose étendu avec lassitude sur son douillet lit, l’ordinateur portable gisant de tout son poids sur les genoux, le corps négligemment drapé de linge mou et devenu difforme par l’usage constant. Une de ces soirées floues où on ne s’attend surtout pas à ce que le plafond nous tombe sans avertissement sur la caboche. Un de ces moments où l’on n’espère pas une illumination soudaine et où on erre blasé sur les pages du Web au lieu de vaquer à des occupations plus hautement intellectuelles. Mais la science étonnement nous attend toujours au détour d’un post sur Facebook ou d’un courriel à l’apparence anodine.

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C’est donc en laissant l’œil furtif faire son savant slalom en diagonale, sur un message Facebook d’un ami, que j’entraperçois un lien partagé timidement en commentaire. Petit, peu attractif, car il ne semble avoir retenu l’attention de personne et aucune réaction n’est venue souligner l’importance de cette récente découverte vitale faite par des chercheurs américains. Une étude tellement fraîche qu’un article porte avec fierté la mention « 27 janvier 2016 », alors que le mois de mars 2016 n’avait pas encore osé nous titiller du bout de son museau.  Pourtant, cette lecture m’a transfusé un léger tremblement corporel, le cœur a suspendu son pompage perpétuel durant une milliseconde, ma vue s’est embrouillée, comme chaque fois qu’une vérité m’agresse en plein visage, bonne ou mauvaise. Je crois bien que je serais tombée en bas de ma chaise si je n’avais pas déjà été étendue sur mon lit…


Une étude qui confirme mes impressions personnelles

On parle souvent d’autistes devenus « indétectables » et je savais bien que pour plusieurs personnes gravitant nouvellement autour de moi, en me scrutant, le mot « autiste » ne semblait pas coller d’emblée avec l’image qu’ils se faisaient de ce concept. Devenir indétectable, mais bon, toujours avec un immense bémol. Encore aujourd’hui, il m’arrive à chaque semaine d’entreprendre un dialogue avec une personne et soudainement, pour une raison inconnue, de la voir changer rudement d’attitude et se détourner sans cause apparente. Comme si une impulsion électrique venait de l’alerter de fuir à la prochaine caserne de pompier à distance de marche rapide pour maintenir sa vie sauve.

Pour certains autres me côtoyant depuis longtemps, ma plus grande ouverture au dialogue, une meilleure réciprocité au niveau des interactions à l’autre, une plus grande confiance en moi évidente et une meilleure sociabilité semblaient amener un terme plus troublant encore : guérison. Intérieurement, il ne me semblait pas avoir vraiment changé lorsque je suis en solo avec moi-même ou dans mes pensées, sauf qu’il m’arrivait fréquemment d’avoir l’impression d’avoir perdu de vue une partie de mon essence autistique lorsque je suis avec d’autres personnes. Mais devenir non-autiste, je sentais que ce n’était pas vers cette avenue que je me dirigeais, car trop d’incompréhension des autres demeurait et mon décalage continuel était toujours bien présent et parfois même plus voyant encore. Je ne me sens pas moins autiste. Mais on me « voit moins autiste ».

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Depuis mon diagnostic, de nombreux déclics se sont faits en moi. J’ai compris que je suis une personne différente de la majorité de mes contemporains et que je regarde le monde avec mes yeux à moi, d’une manière non déformée, mais particulièrement lucide. Trop peut-être, à mon grand désarroi. Malgré de nombreuses adaptations sociales et une compréhension accrue de l'univers environnant, je sens bien que je change. Mais je me métamorphose en quoi, dites-moi donc ?

J’avoue que je suis une ultrasensible, toujours alerte et vigilante à ce qui se passe à l’intérieur de moi, constamment en introspection et à palper toute pensée qui vient me narguer. Quand je m’immobilise, il me semble même que je peux sentir le sang circuler à fière allure sur le long réseau routier de mon système sanguin. En scrutant mon cerveau, il me semblait également que de nombreux circuits se créaient sans cesse, qu’un recâblage se matérialisait. Je me disais que je « by passais » les circuits habituels et que j’en établissais de tous nouveaux, non standard. Voilà pourquoi cette étude m’a tellement estomaquée. Elle venait valider, sceau indélébile de la science accolé clairement, mon ressenti profond…


2.    Perte de diagnostic d’autisme et études scientifiques au Connecticut

À l’Université du Connecticut, sous la direction de Inge-Marie Eigsti du département de psychologie, une équipe de chercheurs s’est penchée sur les cas de jeunes autistes diagnostiqués durant leur petite enfance et ayant perdu leur diagnostic au cours de leur développement. La question première soulevée par la chercheure était d’établir si ces derniers s’étaient mutés en neurotypiques avec l’aide de différentes approches cognitives (notamment l’ABA) et selon leur adaptation sociale. En apparence, il était possible d’envisager cette possibilité, dans la mesure où la perte de diagnostic donnait l’impression d’une rémission spontanée et de l’effacement de l’autisme chez ces sujets rendus pour la plupart à l’adolescence.

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Dans le cadre de cette étude, trois groupes distincts ont été testés. Le premier étant un groupe d’autistes de haut niveau n’ayant obtenu aucune intervention et assistance au cours de leur croissance, le second étant composé d’autistes ayant perdu leur diagnostic et le troisième de jeunes au développement typique (non autiste). Avec le regard objectivement scrutateur de la résonance magnétique, les sujets ont été soumis à des examens au cours desquels ils devaient effectuer certaines tâches et appuyer sur un bouton pour répondre à des questions préétablies.

L’approche était de valider si le groupe de jeunes ayant perdu leur diagnostic d’autisme allait réagir de manière similaire à celle du groupe au développement typique. La réponse a été négative et particulièrement surprenante. Pour plusieurs des tâches demandées, ce groupe test appelé « oo » (optimal outcomes. En français : résultats optimaux, pour de jeunes autistes dont les manifestations autistiques semblent disparues) a répondu de manière similaire au groupe des autistes de haut niveau qui n’avaient reçu aucune thérapie. Par contre, pour certaines autres fonctions, il a été découvert que le groupe oo a développé des circuits différents des deux autres groupes pour résoudre les situations à caractère social. En bref, un troisième schéma cérébral se dessine pour les autistes « adaptés ». Un schéma qui diffère totalement de celui des personnes non autistes…

Cette révélation a sonné une ribambelle de cloches dans ma tête et ce concert improvisé de carillons m’a apporté une explication plus que logique à mon ressenti réel face à mon récent développement personnel. L’autiste ne devient pas neurotypique avec les interventions précoces ou, pour les seniors comme moi avec l’adaptation sociale, mais il se crée ses propres schémas intérieurs. Des nouveaux, non existants. Il roule donc sur une voie de service, en parallèle à l’autoroute, mais il va dans la même direction. Cette adaptation lui donne alors une apparence de guérison, mais les résultats des tests indiquent cependant toujours clairement, pour plusieurs réponses aux questions soumises, que le sujet pense encore d’une manière classiquement autistique.

Suggestions de lectures complémentaires

Inge-Marie Eigsti – Université du Connecticut



Plasticité du cerveau à tout âge

On parle beaucoup de la nécessité de l’intervention précoce en matière de prise en charge des jeunes autistes. Il est donc légitime de se demander si à partir d’un certain âge, toute intervention ou soutien arrive trop tard. Je me suis longuement questionnée à ce sujet, étant donné que mon apprentissage personnel au niveau des interactions avec les autres s’est fait plus que tardivement. Cependant, des changements drastiques se sont tout de même opérés sur une femme de plus de 40 ans, et ce, en quelques années seulement. Comment l’expliquer alors? Tout simplement par la plasticité du cerveau. Pendant longtemps, la science a cru que le cerveau se développait durant l’enfance et l’adolescence et qu’il se figeait rendu aux tendres débuts de l’âge adulte vers les 21 ans. Après, plus de mobilité possible. Uniquement la dégradation.

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De nombreuses recherches démontrent actuellement que le cerveau continue de se développer sans cesse à l’âge adulte, dans la mesure où il est suffisamment sollicité par la curiosité intellectuelle et l’apprentissage. Dès que de nouvelles sphères du cerveau sont mises en activité par l’acquisition de nouvelles aptitudes, des connexions neuronales se forment et, peu importe l’âge du sujet, les neurones se réorganisent pour permettre au cerveau la mise en place des branchements nécessaires. Notre cerveau est donc en continuelle construction.

Suggestions de lectures complémentaires

Disparition de l’autisme en vieillissant


Plasticité du cerveau




3.    La succulente question de l’alimentation ou comment marcher sur des œufs frais en tout temps

S’il y a un délicat sujet outre la politique ou la religion qui peut amener moult controverses, c’est bien l’alimentation. En matière d’alimentation, toutes les théories se contredisent et chacun croit détenir la véritable vérité. On y voit de tout. Du centenaire qui affirme avoir mangé bien gras toute sa vie à se boucher plusieurs artères et avoir engouffré une bonne part de gâteau quatre chocolats à ses trois repas quotidien, jusqu’aux véganes stricts qui ne touchent à rien qui est passé à moins de 3 kilomètres d’un être vivant. Entre les deux extrêmes, une infinité de possibilités, de théories validées ou non, des gourous de tout acabit, des best-sellers sur les dernières tendances minceur et santé. 

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Personnellement, j’ai cessé de manger de la viande en 1992, à une époque où je me dirigeais sûrement, sérieusement et en vitesse de croisière vers le végétarisme. Dans ce temps-là, c’était encore peu à la mode et j’avais donc, sans le préméditer, trouvé une autre manière voyante de me marginaliser encore une fois. Mon conjoint avait accepté de prendre la même tangente que moi, décidant en tandem de bannir steak haché filamenteux et filet mignon de toute coupe, côtelettes de porc et leurs frères de sang. Bien évidemment, nous avons donc été critiqués et semoncés par tout ce qui bouge et qui aime avoir de la chair cuite sous la dent. Souvent, blottis l’un contre l’autre sur les divers sofas des gens qui nous invitaient gentiment à souper, nous avons écouté les mêmes arguments appuyés, toujours répétitifs. Comme le maudit boulier au mouvement perpétuel qui ornait les bureaux de tous les cadres administratifs, il y a quelques décennies. Êtes-vous dans une secte? Vous allez tomber malades, voyons donc, il FAUT manger de la viande pour survivre. Vous allez avoir des carences alimentaires graves. Et patati. Et patata…

Enfin bref, même si nous nous sommes arrêtés à mi-chemin dans notre métamorphose alimentaire, conservant volaille et œufs à l’occasion ainsi que les produits laitiers, nous avons persévéré dans notre retrait des viandes rouges et du porc depuis près de 25 ans. Comme je suis une effrontée, mon bilan sanguin annuel demeure toujours une copie conforme du précédent : aucune carence alimentaire, pas de mauvais cholestérol et un taux plus élevé que la moyenne de bon cholestérol. Celui de mes détracteurs du passé les amène à prendre de la médication pour lutter hardiment… contre le cholestérol ! De mon côté, j’ai toujours respecté le choix de chacun et la conversion des autres à mon mode de vie n’a jamais été du moindre intérêt.

Cette tendance à être borné chacun dans son coin en matière alimentaire apporte parfois son lot d’anecdotes cocasses. Quelques années après mon virage semi-végétarien de 1992, j’étais amenée à assister à des réunions d'équipe chez mon employeur de l’époque et malheureusement pour moi, cette sociabilité forcée me contraignait à manger en groupe en compagnie aussi des directeurs régionaux, souvent des hommes plus âgés et formés à se gaver de  viande et en grande quantité. Nous avions un buffet chaud avec service et un unique choix de repas disponible. Un certain directeur m’avait fait le traditionnel sermon sur tu ne peux pas ne pas manger de la viande, c’est contre nature parce que j’avais demandé à la serveuse uniquement la salade et les légumes vapeur qui accompagnaient un très juteux rôti de bœuf. Je suis restée souriante et polie en répétant à m’en user l' articulation temporo-mandibulaire que c’était un choix personnel et assumé. Lorsque les assiettes ont été prêtes à être desservies, j’ai tout de même souligné à l’homme cité plus haut qu’il n’avait pas touché à ses légumes et à sa salade. Je n’aime pas ça des légumes m’a-t-il dit sans broncher, comme une évidence indiscutable. J’ai donc dû lui répondre, c’était plus fort que moi : pourtant, vous ne pouvez pas ne pas manger de légumes, vous avez besoin des vitamines qu’ils contiennent. Il n’a rien rétorqué…

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Pourquoi est-ce que je vous raconte tout ça? Tout simplement pour souligner qu’en matière d’alimentation, il n’existe malheureusement pas de trouvaille miracle qui fait qu’un régime est indiscutablement meilleur qu’un autre. Énormément d’écoles de pensée prônent détenir l’ultime vérité au détriment des autres choix. Il y a beaucoup de subjectivité à ce sujet et au gré de lectures et d’expérimentations, ou parfois en écoutant seulement les désirs langoureux de son palais, chacun choisit ce qui entre dans son estomac et par ricochet dans ses cellules corporelles.

Alimentation et autisme

En commençant ce blogue au mois de janvier, j’avais l’intention de jouer la game du changement drastique d’alimentation, tel que prôné par certains livres populaires auprès d’une petite population de parents. Je devais alors me sevrer de gluten et de caséine, parmi les expérimentations envisagées. Mais je me suis décidée à écouter ce que me dicte plus sagement mon corps et de rechercher ce qui est le mieux pour moi, pour mon équilibre et ma santé. Actuellement, je fais davantage attention à mon alimentation, je mange davantage de légumes, je réduis certaines sources de gluten, mais sans en faire un changement strict pour l’instant. J’y vais en douceur, comme une barque qui se laisse porter par les vagues d’un lac plutôt calme. Je demeure à l’écoute de mon corps, comme toujours.

Je tiens cependant à souligner que lors de mes recherches, aucune étude sérieuse ne m’est apparue faisant un lien vérifié et clairement établi entre l’autisme et la consommation de gluten. De nombreux parents m’ont écrit pour me dire avoir fait un sevrage complet du gluten sur une très longue période de temps sur leur enfant autiste et n’avoir observé aucun changement autre qu’au niveau digestif pour certains. Donc, mis à part l’intérêt de bien se nourrir, avec la même conscience qu’on ne mettrait pas du vin rouge dans le réservoir d’essence de sa précieuse voiture, les changements alimentaires et l’autisme semblent peu concluant à ce jour.

Suggestions de lectures complémentaires, parmi les nombreuses disponibles

Gluten et autisme
http://www.afssa.fr/Documents/NUT-Ra-Autisme.pdf (pour faire court : lire la conclusion des pages 77 à 80)


Enfin, le titre dans le Wall Street Journal en dit long (article accessible sur abonnement seulement) : http://www.wsj.com/articles/gluten-free-diet-has-no-benefit-for-children-with-autism-study-finds-1442244486



Texte issu du blogue "52 semaines pour guérir (ou probablement pas!) de l'autisme




Guérison miracle ? Mais comment deviner ce qui se vit à l’intérieur de l’autre ?

Image libre de droits - Pixabay.com

Note : Eh oui, me revoilà ! Ce silence introspectif d’une semaine était un temps de réflexion nécessaire afin de prendre un nouveau tournant plus adéquat selon mon état d’esprit et mes besoins actuels. J’ai usé plusieurs paires de verres de contact sur une minutieuse série de lectures d’études scientifiques très sérieuses, de témoignages pertinents de parents ayant suivi toutes les diètes et chélations des métaux lourds possibles sans obtenir de très significatifs résultats concrets. Cette réflexion m’a amenée à réaliser qu’aucun lien réel, appuyé d’une documentation de source fiable, n’était établi entre certaines pratiques étrangement vantées et des améliorations exceptionnelles. Ou même encore, des guérisons suffisamment courantes pour maintenir avec pertinence l’aspect choc du blogue tel que conçu à la base. J’ai d’abord été réactive, puis je me suis tendrement adoucie. La sagesse de mon grand âge prend sans doute le dessus avec force !

Cependant, je demeure convaincue qu’une meilleure alimentation, des changements de mode de vie plus sains et effectués de manière graduelle, sans risque pour ma santé, peuvent apporter des bienfaits sur ma concentration et plusieurs aspects de ma vie en général. Sans doute, une meilleure gestion des inconvénients quotidiens sera disponible à moi, sans toutefois dissoudre  l’autisme. D’ailleurs, personne ne niera qu’un bon régime de vie est bénéfique à chacun, autiste ou non. Ce blogue sera alors maintenant un travail sur le mieux-être. Par contre, il ne sera pas dépourvu de surprises pour autant!


Guérison miracle ? Mais comment deviner ce qui se vit à l’intérieur de l’autre ?

Comme Morpheus affirme à Néo dans La matrice : « il y a une différence entre connaître le chemin et arpenter le chemin…. ». Car observer et vivre une situation sont deux angles dissemblables. Personnellement, j’ai déjà affirmé qu’en matière d’autisme, bien que l’apport des scientifiques et des professionnels soit essentiel, voir l’autisme de l’extérieur équivaut en bonne partie à étudier les fonds marins en restant sur le pont du navire. L’autisme ne se détecte que par des manifestations comportementales visibles par l’observateur, mais à l’intérieur, il ne se voit que par la personne autiste elle-même.

Alors mon questionnement demeure tout entier et grouillant comme un bataillon de fourmis partant en quête de nourriture : comment peut-on regarder une autre personne, son enfant ou un adulte de son entourage, et penser soudainement qu’elle est guérie ? Est-ce que l’estompement de signes voyants induits par un mieux-être et le soulagement de problématiques (digestive notamment) sont le feu vert à une affirmation indiscutable de guérison ? Doit-on sortir nos porte-voix et courir dans les rues en agitant des drapeaux blancs et en tabassant bruyamment nos casseroles usagées avec des ustensiles défraîchis ?

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L’atténuation de certains signes extérieurs voile très certainement les yeux des observateurs qui y voient davantage de changements que ce qu’il y a en réalité. Croire à une guérison, c’est vouloir croire au miracle et de mettre le point de mire uniquement sur ce qui nous convient et qui vient renforcer cette perception. Car dans mes distorsions cognitives favorites, il y a la tendance à ne s’accrocher qu’aux faits et images qui viennent conforter nos hypothèses en faisant fi d’une objectivité plus large.

De mon côté, je suis allée l’an dernier en visite chez une maman, ancienne connaissance d’il y a plus d’une dizaine d’années, qui a plusieurs enfants, dont un jeune autiste de haut niveau âgé de neuf ans. En arrivant dans cette charmante petite famille, le garçonnet autiste s’est présenté à nous et nous a gratifiés d’un très robotique « Bonjour, comment ça va ? » puis est rapidement reparti vaquer à ses occupations précédentes, avant même que nous n’ayons eu l’opportunité d’esquisser une réaction ou une réponse positive. La mère était toute joyeuse de nous affirmer le progrès fou que son fils fait chaque semaine. Mais tristement, je n’y voyais que du par cœur, sans ressenti véritable et une mère bien intentionnée gorgée d’espérance. Nous n’avons plus croisé le petit de tout l’après-midi.

Lors de notre départ, il est revenu nous saluer d’un mode tout aussi mécanique dans son ton vocal et en prononçant les mots qu’on lui a sans aucun doute appris à réciter sans en saisir l’authentique pourquoi. Le voilà juste formaté pour correspondre aux attentes sociales, selon mon humble avis. Mais une surprise nous attendait cependant, au moment d’enfiler bottes et manteau d’hiver pour le retour à la maison. Contre toute attente, il m’a fait un câlin. Sa mère a été vivement étonnée de cette spontanéité à l’endroit d’une personne totalement étrangère. Elle s’est exclamée un : « wow, il ne fait jamais ça avec des étrangers ». Pourquoi moi ? Nous ne le saurons jamais avec certitude. Mais cette communication était vraie, pas apprise ou exigée.

L’autiste va faire des progrès au niveau de la communication tout au long de sa vie et à son rythme, comme une personne francophone immergée dans un monde anglophone apprendra cette nouvelle langue, sans manuel, pour arriver à y survivre. Je le pense sincèrement, m’appuyant sur ce que je constate régulièrement autour de moi et principalement à l’intérieur de moi depuis mon diagnostic. Mais, il n’y a que l’autiste qui sait s’il est ou non encore autiste, quoiqu’on tente comme expérimentation pour le normaliser. Des attitudes incrustées à coups de récompenses ne sont pas un signe que l’autisme s’effiloche.

La majorité de l’autisme se passe à l’intérieur. Je ne crie pas à gorge déployée chaque fois que je suis agressée sensoriellement par l’accumulation de chaque bruit et confrontation sociale, chaque fois que je ne comprends pas une ironie ou une mimique faciale. Beaucoup de ces éléments-clés se vivent à l’intérieur et même si mon comportement extérieur peut changer et estomper les signes « indésirables », les caractéristiques intrinsèques à l’autisme demeurent. Face à l’inconnu, j’ai une tendance naturelle à figer comme un chevreuil devant les phares éblouissants d’un F-150 qui traverse une route en zone forestière ou à me mettre en mode panique et m’agiter. En public, je privilégie la première option pour des raisons de discrétion et de paix, car les crises poivrées de longs sanglots mouillés dans les centres commerciaux bondés dans ma jeune trentaine n’ont pas fait leur preuve autrement que d’attirer des regards énervés et de donner une honte indicible à mon conjoint!

Je fais montre d’une plus grande sociabilité, mais j’ai appris rationnellement et petit à petit et des comportements instinctifs font spontanément leur apparition. Mais ces efforts n’effacent pas tout. Je demeure toujours fatiguée suite à de longs échanges verbaux. Rester dans des lieux bondés et bruyants m’amène migraines et douleurs autour des oreilles, conjuguées à un épuisement physique bien réel équivalent à un entraînement intensif pour un marathon exécuté par un débutant non préparé. Bien des gens me connaissant de longue date pourraient croire à une guérison de ma part, car ma manière de communiquer est plus fluide et plus avenante. Mais en dedans de moi, je suis toujours la même. J’ai juste étendu du glaçage fondant sur mon gâteau. Il est plus « présentable », mais le gâteau regorge toujours des mêmes saveurs de base.

Alors, comment croire que l’autre est guéri, que l’autisme est fini ou touche à sa fin ? L’autiste paraît plus éveillé et plus en mesure de suivre les consignes ? Il regarde dans les yeux et répond à son nom ? Il salue et il reproduit ce qui lui a été appris à coups de répétitions agaçantes ? Il s’approche soudainement des autres sans y être contraint ? Un progrès notable n’est pas une rémission. Il est le signe de la mise en place d’une adaptation qui souhaitons-le sera salutaire. Tout simplement.

L’autisme touche à toutes les sphères de ma vie depuis ma naissance. Que ce soit ma lecture du non-verbal à laquelle je dois penser, car elle n’est pas instinctive, ma perception des réactions et de la manière de penser des non-autistes que je dois résonner selon un pattern que j’ai monté dans ma tête pour survivre, ne pas comprendre le manque de rationalité autour de moi et le manque de justice sociale ou encore la pression sociale de suivre les tendances et la masse sans raison logique qui me parle. Alors comment un changement alimentaire ou des suppléments pris en quantité massive pourraient altérer ma manière d’être et de penser ? Une chose est certaine : il n’y a que moi qui pourrai vous le dire si un jour, je me sens guérie. Personne d’autre.

Au meilleur de ma forme, ça ressemble à quoi ?

Les moments dans ma vie où l’autisme a été le moins problématique dans mon quotidien concordaient toujours à des moments que je qualifierais d’être « au meilleur de ma forme ». Le décalage avec les autres est toujours présent, mais il me dérange moins, même qu’il peut à la rigueur m’amuser. Je suis alors moins anxieuse, je vois venir les événements, mais je demeure toujours aussi réactive devant les imprévus et les situations que je n’arrive pas à gérer à cause des variables inconnues. En gros, oui, je peux donner l’illusion que je suis guérie si je suis observée par un œil extérieur. Je suis moins « détectable », mais toujours la personne bizarre, un peu excentrique ou timide, un peu froide et snobinarde en apparence, celle qui dérange par un « je ne sais quoi » d’innommable.

Mais j’ai connu des moments de grâce où cette différence ne m’atteignait plus. Des jours et même des semaines où la désapprobation des autres m’indifférait. Des instants où je pouvais composer avec mon humour décalé, connecter avec d’autres personnes sans grands efforts et même à la rigueur faire preuve d’aisance en société.

Au meilleur de ma forme, c’est quand je me sens reposée, l’esprit allumé, que je suis entièrement présente et que les soucis habituels ne viennent pas accaparer toutes mes forces intérieures. Des instants où l’anxiété ne vient pas ronger tous les os visibles de mon énergie vitale. En bref, c’est lorsque je suis « toute là », vigilante, centrée, prête à la riposte, peu importe la forme d’agression, minuscule ou énorme, à laquelle je suis confrontée.

Ces instants-là, je veux les retrouver, car ils me permettent de me sentir équilibrée et solide. Je les ai connus lorsque je prenais mieux soin de moi, que j’ai coupé le sucre durant plus d’un mois il y a quelques années, que je faisais de l’exercice modéré plusieurs fois par semaine, que je surveillais davantage mes pensées négatives et que je pratiquais plus rigoureusement la méditation. C’est vers cet équilibre que je tends maintenant. Pour moi et pour les années à venir.


Texte issu du blogue "52 semaines pour guérir (ou probablement pas!) de l'autisme










Guérir, mais de quoi bordel?





Guérir, mais de quoi bordel?

À l’heure actuelle, nous détenons possiblement une seule vérité fiable qui demeurera immuable jusqu’à la fin des temps au niveau de la recherche sur l’autisme : la personne autiste conserve tout au long de son existence davantage de connexions neuronales actives que la personne non autiste. En gros, pour y aller simplement, j’ai davantage de fils électriques connectés en permanence. Donc, au lieu de brancher deux appareils par plaque murale, puis de débrancher ce dont je ne fais plus usage, j’ai raccordé à chaque prise de multiples barres d’alimentation pour des équipements qui demeurent continuellement en état de veille, et en constante alerte, prêts à reprendre du service. Comme une quantité incalculable de données continuent de se gérer simultanément avec tous ces appareils en état de marche, il arrive que ma boîte électrique se court-circuite sous la surcharge et que je devienne silencieuse et que je fuie dans le coin obscur et paisible le plus près, même si le seul lieu accessible est au plus creux à l’intérieur de mon crâne.

Loin d’être un foie devenu défaillant par des abus quelconques, un virus venimeux, mais passager, qui prend une fuite endiablée au contact d’une prise d’antibiotiques, une verrue plantaire qui agace ou une dégradation d’une condition physique détectable à l’examen médical, cette réalité amène une terminologie plus claire : différence neurologique. Cette variante neurologique m’apporte une vision singulière de la vie et de mon environnement immédiat. Je ne discute pas ici de troubles associés : déficience intellectuelle et autres comorbidités pouvant se greffer à l’autisme et en modifier la saveur. L’autisme dans ma vie se conjugue uniquement avec des troubles anxieux et quelques troubles obsessifs compulsifs relativement gérables. Mais d’être malade, je n’en ai nullement le sentiment.

Une question plus que légitime vient imposer son museau inquisiteur quand on vit, comme moi, avec l’autisme depuis plusieurs décennies et qu’on a commencé à bien s’accepter depuis environ 2 ans. Y a-t-il réellement quelque chose à guérir au final? Quand j’observe le monde environnant, je constate que plusieurs de mes caractéristiques autistiques rejoignent largement ce que les livres de croissance personnelle prônent depuis toujours. Alors je m’interroge sérieusement. Éliminer l’autisme demeure-t-il une solution à envisager ou ne vaut pas mieux apprendre à le vivre le plus sainement possible et dans le respect de la nature autistique elle-même, en misant sur mes forces pourtant bien tangibles?

Dans ma recherche effrénée de mon moi intérieur (non, il n’était point égaré entre le frigo et le mur défraîchi de la cuisine familiale ou entre les coussins du sofa brun en compagnie de deux vieux mouchoirs de papier froissés et de miettes de croustilles saveur de ketchup), j’ai écorné depuis ma douce adolescence près d’une centaine de bouquins variés traitant de toutes les formes possibles de développement personnel. Certains très terre-à-terre, d’autres à teneur plus fortement  ésotérique. J’ai appris beaucoup sur cette quête du mieux-être, alors que mon âme semblait en perdition dans un monde qu’elle ne comprenait aucunement et qui lui était inaccessible.

Hormis l’absence de développement inné au niveau de la communication socialement attendue, l’autisme ne m’a apporté que peu de problématiques.  En dehors du regard de l’autre, je suis parfaitement valide. Il m’a fallu apprendre à développer également mon autonomie, bien que tout demeure du domaine de l’apprentissage possible, pas à pas. Les déclics sont survenus lorsque j’en ai ressenti la capacité et que le temps était enfin venu. Certains de ces apprentissages se sont avérés rigoureux et demeurent encore mal assimilés, mais le progrès à mon rythme est un incontournable. Mais pour le reste, certaines capacités plus que valables sont au rendez-vous.

Il serait hautement dommage que dans mes expériences actuelles de techniques de « guérison », se retrouve une perte de toutes ces qualités rarissimes que les gens tentent de conquérir à force de travailler sur soi et qui sont incluses dans le « package deal » de l’autisme :

  • L’appropriation de son identité, sans suivre ni la norme, ni la masse, ni l’influence des autres
  • Une manière de penser, de percevoir le monde et d’agir indépendamment des courants d’influence et des modes, incluant une capacité à trouver des solutions originales et alternatives à des problématiques parfois complexes
  • Une grande capacité à être rationnel et pragmatique, à faire des liens différents entre les éléments, et à aller au bout de son raisonnement tout en faisant preuve de créativité
  • Une grande présence au corps et à l’environnement au niveau sensoriel (bien mise de l’avant par le bouddhisme et les pratiques zen)
  • La capacité de demeurer authentique, de dire la vérité en toute circonstance, d’être franc avec soi-même et avec les autres
  • L’aisance naturelle à détecter ce qui nous intéresse réellement et nous fait du bien et à vivre nos passions au maximum
  • La capacité d’apprécier les petites choses de la vie avec le regard d’un enfant, même à l’âge adulte

Alors pour toutes ces raisons et pour toutes ces qualités naturelles, guérir de l’autisme serait tirer un double trait gras à tant de qualités précieuses et recherchées pour lesquelles des gens font des virages drastiques à 180 ° lors de coûteux séminaires de croissance personnelle. Alors, pourquoi ne pas conserver mes forces et chercher à juste vivre mieux, à la recherche d’éléments facilitants? Le meilleur des mondes ne serait-il pas d’amener chaque autiste à avancer dans les sphères sociales et de la communication selon ses besoins et ensuite de lui permettre de développer son plein potentiel sur ses points forts?

"Il semble que pour réussir dans les sciences ou les arts, un soupçon d’autisme est essentiel. Pour réussir, l’ingrédient essentiel peut être une aptitude à se détourner du monde quotidien, du domaine simplement pratique, une aptitude à repenser une question avec originalité pour ouvrir des chemins nouveaux non explorés, avec toutes ses capacités concentrées dans une seule spécialité." 
  • (Hans Asperger, cité par Tony Attwood dans Le syndrome d'Asperger, guide complet)

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